Tourisme halal et sortie des marges de l'industrie touristique traditionnelle
Selon le Global Muslim Travel Index 2021 (GMTI) préparé par MasterCard et l'organisme de recherche Crescent Rating, le nombre de voyageurs musulmans internationaux est passé d'environ 108 millions en 2013, à 160 millions en 2019
Le photographe Bradley Secker, basé à Istanbul, lors d'un voyage d'affaires dans des hôtels halals situés le long de la côte sud ensoleillée de la Turquie, a déclaré : « J'ai pensé qu'il serait intéressant de montrer comment ces stations se sont développées. Beaucoup d'entre elles ont été converties à partir de stations réservées aux touristes russes ou européens. Les propriétaires de ces centres de villégiature ont fait ce changement rapide en raison du potentiel commercial lucratif du secteur halal. Ce processus implique un certain nombre de changements dont les plus importants sont la division des plages (hommes et femmes), l’absence d'alcool, la nourriture halal, des salles de prière et des mosquées ».
Faizeh Khan, maître de conférences en marketing à l'Université de Birmingham, dans un article rédigé avec un collègue en 2016, a expliqué pourquoi ce marché existe et pourquoi il s'est développé : « Il y a 40 ou 50 ans, l'objectif principal de nombreux musulmans était de se rendre en Arabie saoudite pour le Hajj et l’Umra, ou de retourner dans leur pays d'origine, pour voir leur famille et leurs amis. D'autres voyages étaient une perte de temps ou impossibles pour des raisons financières alors que cela est maintenant possible pour la jeune génération, sans mettre en péril leurs valeurs religieuses et leurs rituels.
Natasha Ahmed, rédactrice en chef de « British Muslim Magazine », un magazine sur les voyages, la nourriture et le shopping, a déclaré : « Quand j'étais jeune, mes vacances se passaient avec mes cousins au Pakistan, mais maintenant au lieu de simplement rendre visite à ma famille et à mes amis, je voyage dans le pays. Je pense qu'une grande partie des musulmans est maintenant plus instruite et a plus d'argent. Dans certains pays plus riches, comme le Qatar et l'Arabie saoudite, les gens se rendaient en Europe et aux Etats-Unis qui, après le 11 septembre, sont devenus une zone interdite ».
Le GMTI fournit un classement annuel des destinations de vacances, en fonction d'une série de critères comme la facilité d'accès et l'environnement. En 2021, la Malaisie était classée première, comme c'est le cas depuis le lancement de l'indice en 2015. Après cela, venaient la Turquie et l'Arabie saoudite. Parmi les pays non membres de l'Organisation de la coopération islamique, Singapour a conservé la première position, et le Royaume-Uni est arrivé deuxième. Taïwan, la Thaïlande, Hong Kong, l'Afrique du Sud et le Japon figuraient également parmi les 10 premiers pays. Le rapport note que ces destinations ont continué à prendre des mesures de marketing même pendant la pandémie de Covid-19. Le rapport du GMTI a désigné l'Ouzbékistan comme un cas particulier, écrivant qu'au cours des dernières années, il a lancé de nombreux projets pour capitaliser sur son riche héritage islamique, afin de développer ce qu'il appelle « le tourisme de pèlerinage ».
La gastronomie est un autre domaine qui attire les jeunes touristes musulmans. Le rapport note que certaines des principales destinations du paysage alimentaire halal comprennent le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong et Taïwan.
Elena Nikolova, fondatrice de Muslim Travel Girl, un blog de voyage ciblant la génération née entre 1980 et 2000, a déclaré : « Les gens ont besoin de manger. L'une des choses que nous trouverons je l’espère, davantage au cours des 10 prochaines années, est une variété d'options halals de nourriture locale. J'aimerais que plus de voyageurs puissent profiter des repas locaux ».
Nikolova, née de parents grecs et bulgares, a lancé son blog il y a sept ans, et s'est convertie à l'islam, il y a trois ans. Son objectif est de rassurer les musulmans sur le fait qu’ils peuvent se distraire en restant dans le cadre de leur religion.
Ahmad du British Muslim Magazine, a déclaré : « Je pense que beaucoup d'opérateurs du tourisme, de la publicité et du marché sont bien intégrés. Avant, les gens étaient impatients de diriger le marché, mais il n'y avait pas beaucoup d'acteurs clés. Désormais, les voyagistes se concentrent entièrement sur des circuits adaptés aux musulmans, et sur des circuits culturels islamiques. Nous faisons de notre mieux pour fournir des services et faciliter l'accès des voyageurs musulmans à la nourriture, aux activités et aux stations balnéaires sans alcool. Les gens doivent comprendre que les musulmans peuvent aller et rester partout. De nombreux endroits qui étaient autrefois considérés comme interdits, sont désormais ouverts aux touristes musulmans. Les musulmans n’allaient pas en Écosse, à Glasgow et dans les Highlands, parce qu'il n'y avait pas de nourriture halal là-bas. Maintenant, il y a des marches caritatives où des groupes de femmes et d'hommes marchent sur les hauteurs ou autour du mur d'Hadrien (un ancien mur de pierre et de rochers) et des Cotswolds ».
Michelle Callanan, conférencière, a déclaré : « Il y a sept ans, les gens me demandaient encore s’il était possible de passer la sécurité de l'aéroport en portant un hijab. Mais maintenant, quand je vais dans des endroits comme la Grèce ou la Bulgarie, je vois la différence. Il y a cinq ans, alors que peu de musulmans voyageaient, on m'avait brutalement demandé d'enlever mon hijab. Maintenant, ils m'emmènent juste dans une salle de contrôle à l'aéroport. Les gens ne me posent plus de questions à ce sujet, mais demandent : « Où puis-je trouver de la nourriture halal ? Que puis-je voir, dans quelles mosquées puis-je prier ? » C'est ce que j'entends des voyageurs musulmans qui ont beaucoup évolué. L’interdiction de trois municipalités françaises locales d'interdire le burkini dans les piscines publiques et les plages, a fait couler beaucoup d'encre, il y a quelques années, et en juillet dernier, Euronews a rapporté que plusieurs militantes avaient été condamnées à une amende pour avoir porté un burkini dans une piscine grenobloise. Cet article précise que cinq femmes sont entrées dans la piscine de la ville pour se baigner, ce qui a entraîné la vidange de la piscine à la demande des autorités. L'interdiction ne couvre pas tout le pays, mais cela a un effet négatif sur les voyageurs musulmans ».
Ceci dit, trouver une destination où les vêtements islamiques sont tolérés et acceptés, reste un défi pour certaines personnes.
Pour les Européens que Seker a rencontrés en Turquie, passer des vacances dans un espace sûr faisait certainement partie de l'attrait de ce pays. « C'est ce que disent toutes les personnes que j'ai interviewées. Ils sont heureux de passer des vacances en Turquie, où ils ne voient pas des gens ivres comme en Angleterre. Pour certaines personnes, l'idée de vacances spécifiques aux musulmans est mal acceptée mais le tourisme identitaire n'est pas nouveau et découle généralement de discriminations. C'est juste parce que vous voulez la liberté d'être qui vous êtes sans être jugé et dévisagé », a déclaré Seker qui admet avoir abordé son projet photographique avec des sentiments mitigés, mais la réalité sur le terrain semble relativement simple. Les musulmans veulent découvrir le monde, mais le monde les accueillera-t-il ?
